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Quatre Filles et un Cervin
Photos Lorraine Huber, Giulia Monego, Melissa Presslaber et moi
Tout a commencé à la suite d’un SMS de Giulia arrivé le 1er Mai. Dès le début de l’hiver on avait parlé de faire des choses en montagne ensemble et puis rien. Conditions difficiles au début, incompatibilité dans les dates combinées à la météo puis souci au pied pour Giulia. Aussi quand elle me propose d’aller au Cervin pour en skier la face Est, je n’hésite pas trop. Enfin, un peu quand même car je n’ai pas fait de “ski de pente raide” depuis bien longtemps. Roberto, guide et ami de Giulia a bien observé la face et confirme que les conditions peuvent être bonnes. Lui aussi veut y aller.
18h, Le Moo, Chamonix, mardi 3 Mai. J’ai roulé un peu trop vite dans les gorges de l’Arly pour arriver à temps. J’ai juste une petite heure devant moi et je dois filer à Genève. C’est encore une de ces journées “empilées”. C’est sûr, je vais encore préparer mon sac à point d’heure… Giulia (Italie) arrive puis Lorraine Huber (Australo Autrichienne) et Melissa Presslaber (Autrichienne). A part Giulia personne ne savait que nous allions être quatre… mais c’est une agréable surprise. Le courant passe super bien entre nous alors que Lorraine, Mèl et moi ne nous connaissions pas la minute d’avant. Mèl a déjà fait deux tentatives sur la face Est du Cervin et n’est pas trop motivée à y aller si on n’est pas sûres des conditions. Perso je suis un peu dans le doute à cause du vent annoncé. Mais on décide toutes ensemble d’y aller. On ne se rend jamais mieux compte des conditions qu’en y étant.
Mercredi 4 Mai, la Skoda Octavia, immatriculée en Autriche est chargée à bloc avec 4 filles super enthousiastes à son bord, direction Tasch. En route on reçoit un appel de Roberto qui nous dit que deux amis à lui ont tenté la face Est hier mais qu’ils ont fait demi tour à cause de plaques de vent. Pas la meilleure des nouvelles mais bon, nous sommes parties. Roberto pense qu’il va rejoindre ces deux amis au bivouac Bossi (côté Breuil Cervinia) pour (re) faire une tentative le lendemain. De notre côté, pas de changement de plan, l’objectif de la journée c’est d’aller au refuge d’Hornli et de regarder les conditions dans la face. Tasch, Zermatt, puis téléphérique de Furi… la face est toujours aussi belle imposante et paraît bien raide. On laisse les remontées mécaniques et le domaine skiable pour traverser par gravitation jusque sous la face Est. Elle a franchement l’air pas mal. De là, on met les peaux et on enlève presque toutes les couches. Il est midi il fait monstre chaud, pas un brin d’air si ce n’est en haut sur l’arête Nord Est. C’est parti pour un petit dénivelé jusqu’à Hornli. On prend le temps, la journée est magnifique et nous sommes les yeux rivés sur cette immense face.
- Quatre filles en route pour le refuge de Hornli ;)
- Vu d’ici la face paraît bien raide… de Drotie à Gauche Lorraine, Giulia et moi. ©Melissa Presslaber
- Vu du Hornli ça parait déjà bien plus jouable… Giulia, Lorraine et Melissa étudient la face… ©Liv Sansoz
- Bon petit repas dans l’agréable refuge d’hiver. Et ça rigole! ©Giulia Monego
Le nouveau refuge d’hiver est flambant neuf, tout propre et vraiment agréable. Le rituel classique de faire sécher le matériel, faire de l’eau, s’hydrater, manger et observer nous occupe jusqu’au soir. En liaison téléphonique, Roberto nous annoncent qu’ils montent dormir à la cabane de Solvay à 4003m sur l’arête Nord Est. La face est repassée à l’ombre, la neige s’est resserrée, la trace sera plus facile à faire et ils seront quasiment à pied d’oeuvre pour le lendemain matin. Nous, nous nous en tenons à notre stratégie de bien dormir et de grimper la face le lendemain tôt.
Jeudi 5 Mai, Hornli 4h du mat, c’est le départ. On commence par glisser, puis cacher les duvet, les peaux et autre matériel dont on ne va pas avoir besoin sous un gros rocher avant d’entamer la suite, crampons au pied. Il y a pas de mal de neige jusqu’à la rimaye et l’on s’enfonce bien. Avec Giulia on se partage la trace et ça nous demande quand même un bon petit effort. La rimaye passe tranquille et à partir de là ca se redresse bien. J’aime bien ces départs à la frontale, je trouve que ça passe toujours assez vite. Et plus on monte plus le soleil se lève et plus c’est beau. C’est toujours magique ces belles ambiance, ces lumières du matin, ces montagnes à perte de vue et ce sentiment d’être un petit rien au milieu d’une grosse face. Ca remplit de belles émotions et d’images ineffaçables.
Nous continuons de progresser tranquillement.La veille nous avions discuté la possibilité d’une ligne assez centrale dans la face, suggérée par Giulia et c’est là que l’on va. Mais arrivées à une certaine hauteur, on se rend compte qu’il y a vraiment pas beaucoup de neige posée sur les dalles et le rocher… Il faut se rendre à l’évidence, ça ne va pas faire. Nous sommes obligées de redescendre un bon morceau pour contourner des bandes de rocher et pouvoir traverser à droite, (côté grimpeur) afin de rejoindre la pente de neige sous Solvay. Un peu plus loin en dessous les filles comprennent que ça ne passera pas et vont pouvoir s’éviter la montée puis la descente en traversant bien plus tôt sous les bandes rocheuses. Il fait grand jour, nous avons perdu un peu de temps avec cette histoire mais jusque là pas d’inquiétude par rapport au timing. Nous nous rapprochons de Solvay au même moment que Roberto et ses deux amis en sortent pour entamer leur descente. On se salue de loin. Giulia est passée en mode machine et elle est bien déterminée à monter au point le plus haut d’où l’on pourra skier. On les regarde faire leur premier virage l’un après l’autre. La neige est encore bien dure. Je ne parle pas Italien mais je comprend le “Duro” que lance le premier à skier à ces deux compères.
- Giulia ne cache pas son bonheur d’être là, au milieu de cette face, baignée par les premiers rayons de soleil ©Liv Sansoz
- Moi aussi ça me plaît d’être là ;) ©Giulia Monego
- Lorraine pas très loin sous Solvay ©Mélissa Presslaber
- Mélissa, avec la vue qui va bien. ©Lorraine Huber
Lorraine et Melissa nous rejoignent au point le plus haut que nous avons pu atteindre, sous une petite bande de rocher. Une petite centaine de mètres au-dessus de Solvay. La neige dans la partie haute est toujours un peu dure mais le temps que chacune s’équipe et que l’on prenne deux trois images, elle est parfaitement revenue. J’avoue, je suis un peu impressionnée. Je ne fais pas ce genre de ski tous les jours. Mais je suis avec trois excellentes skieuses et leur présence est plutôt rassurante. On est détendues, on rigole, tout va bien.
C’est Giulia qui ouvre le bal, elle fait son premier virage direct et enchaine. Solide. Je sens que je vais avoir besoin de déraper un peu pour sentir la neige avant de faire ce premier virage, souvent libératoire. Lorraine et Melissa sont à l’aise elles aussi. Elles assurent tout en étant relax. Au fur et à mesure que l’on descend la pente est moins raide et la neige vraiment bonne et la descente est vraiment classe. On reste vigilantes quand même, il y a toujours quelques requins malveillants cachés sous la neige et même si la pente est moins raide la chute reste interdite. Je vis cette descente intensément et j’en prends plein les sens. C’est incroyable d’être là, toutes les quatre avec une pure complicité au milieu de cette immense face, sur cette montagne si spéciale.
La rimaye arrive déjà. Presque trop vite. En bas on explose de joie. C’était magique, c’était différent, c’était la journée où il fallait être là, là avec les bonnes personnes. Un grand merci à Giulia, Lorraine et Melissa pour avoir partagé ce moment de ski unique et magnifique.
Toni Valeruz avait été la première personne à skier la face Est le 14 mai 1975. Jean-Marc Boivin en a fait la seconde répétition en partant de plus haut dans la face (première descente depuis l’épaule) 6 juin 1980. Sans lui (et d’autres) nous n’en serions pas là aujourd’hui. Mille Mercis de nous avoir ouvert autant d’univers.
A lire aussi en anglais le récit de Giula Monego sur PlanetMountain
- Giulia solide sur les skis c’est y mettre le style ©Lorraine Huber
- Mélissa au dessus de Solvay, la partie la plus raide ©Giulia Monego
- Lorraine tout sourire après ses premiers virages. Dans le fond la Cabane de Solvay ©Giulia Monego
- En escalade on défie un peu la gravité, là on se doit de jouer avec… ©Lorraine Huber
- Lorraine, Mél et moi sous Solvay. La neige est top et l’on profite pleinement de cette descente. ©Giulia Monego
- Retour à la civilisation à Zermatt ©Lorraine Huber
- La dream team ;)
- Tracé de notre descente ©Giulia Monego
- Jean-Marc Boivin, un sacré bonhomme… Collection Claude Gardien
Chardonnet Peak, 3824m
Version française ici
Photos Credit : Nils Nielsen and Liv Sansoz
Chamonix is an awesome place where most climbers, skiers and outdoor lovers would love to live there. But unique and amazing also means very crowded. Finding a great place for a climbing or a skiing day without anybody else is sometimes a bit tricky.
Where to find a bit of adventure and tranquility when you only got the day? Together with Nils we thought of the Chardonnet peak, a nice summit we can see from everywhere down in the valley and on which none of us had been. Nils suggested an interesting way to climb and ski it, different that most people do. We got a plan!
So here we go, heading to the Grands Montets lift to reach the Argentière Bassin. After the ritual of the bin and the “hard bad” snow to ski down to the glacier we take the direction of the Chardonnet with no one either before or behind us (it will not last, the first groups to the Chardonnet pass will eventually show up… ) All this with an amazing point of vieux on the Verte peak, the Grande Rocheuse and the Droites face.
From there, we skin up toward the Chardonnet pass, on a typical spring morning hard snow. This year, I decided to reduce the size of my skis and the weight of my gear. Except for the few really good powder days, I have done all my alpine days with the Rocca Freebird, 75 under foot, and I had lots of fun and lots of confidence with a small but real ski. Same thing with the boots, I now use the Syborg a lot that weight less than a paire of Baturas… after a few times you get use to ski them just like any bigger boots.
The wind is blowing on the plateau and I’m glad we are getting inside the South-East couloir that seems protected. As its orientation means it, we are in full sun and the snow is already quite wet and heavy. But there is already a good track that makes the ascent easier and we’re gaining elevation at a good pace. The scenery is very Alpine but friendly, with the white of the snow and the beautiful orange granit. Below are a few pictures of Nils and myself.
A few short crossing to release the calves without slowing down…
Eventually, we are getting close to the summit…
Those couloirs are always longer that what we believe and that’s exactly how Gaston Rébuffat said, “the already steep terrain straightened again”… It became that steep that we had to get the rope out for the last 20 meters, steeper and with a really sugary snow that made the progression delicate. One small climbing step (or two or three) to get out of there and we finally reach the Forbes ridge.
An icy wind greets us at the exit of the couloir and my wet gloves from the hike up in the sun and wet snow freeze in two seconds, taking the closed form of my hands on the ice axes. There is some more sugary snow to climb on the ridge that does not make me feel comfortable. I have to stay concentrated on the feet for the traverse that leads to the summit.
No time nor desire to stop for too long on the summit, the wind is cold and some clouds are coming. We’ll wait for the tea and cookies… Nils is running in front and I barely got to snap a shot on the sharp ridge…
The descent is really nice with ridge first, then some snowy shoulders, a bit of route finding, a bit of anchors testing (two abseils to reach behind the Adams Reilly pass). Finally we reach the glacier of the Tour, one last abseil to get away from a big bergschrund and we can ski again! The descent at first still request some attention because of the crevasses but then the terrain get more flat with no crevasses and we can really enjoy our descent all the way down to the village of the Tour.
It was a sweet alpine day, a day like I like them!
The Chardonnet peak, a really nice summit on which I’ll come back with pleasure. Thanks for the little taste of adventure shared with my favorite man ;)
Aiguille du Chardonnet, 3824m
Englsih version here
CREDIT PHOTOS : NILS NIELSEN et LIV SANSOZ
Le Massif de Mont Blanc est un endroit unique, exceptionnel et pour moi toujours aussi incroyable, magique et surprenant. Endroit exceptionnel et facilité d’accès conduisent inévitablement à une grosse fréquentation. Quand on vit dans la vallée, une des difficultés est de trouver une course sympa à faire où il n’y aura (presque) personne.
Où trouver un peu d’aventure et de tranquillité à la journée? Avec Nils nous décidons de partir sur le Chardonnet, un sommet où nous n’avons jamais été ni l’un ni l’autre et de le faire d’une façon (je crois) peu habituelle. L’idée est de monter par le couloir Sud jusqu’au sommet. De là nous récupèrerions l’itinéraire de descente de l’arête Forbes puis les épaules enneigées orientées Ouest pour finalement prendre pied sur le glacier du Tour, derrière le col Adams Reilly.
Direction donc, en ce matin de mars, les Grands Montets pour rejoindre le bassin d’Argentière. Passé le rituel de la benne et de la neige béton pour descendre sur le glacier nous prenons la tangente en direction du Chardonnet avec personne ni devant ni derrière (cela ne durera pas, les premiers groupes pour le col du Chardonnet finiront par arriver…) et la vue qui va bien sur la Verte, la Grande Rocheuse et les Droites.
De là nous attaquons la montée sur neige dure en direction du Col du Chardonnet, en rive droite. Cette année j’ai opté pour redescendre en largeur de ski et en poids de matos. En dehors des quelques belles journées de poudre, je fais l’ensemble de mes sorties montagne avec les Rocca Freebird, 75 au patin, et je me suis régalée, avec un ski, qui skient, tout en confiance. Même chose pour les chaussures, les Syborg pèsent moins lourd que des Baturas… et l’on prend vite le coup de les skier.
Le vent souffle sur le plateau et je suis contente d’aller chercher le couloir Sud-Est qui semble protégé. Comme son orientation l’indique nous sommes plein cagnard. Il y a déjà une bonne trace de faite, cela facilite la montée et nous permet d’avaler rapidement du dénivelé. Le cadre est bien alpin, bien sympa, entre le blanc de la neige et le jaune/orangé du granit. Ci-dessous une petite série de photos de Nils et de moi-même.
Début du couloir, jusque là tout va bien ;)
Quelques courtes traversée pour relâcher les mollets sans mollir…
Finalement, on se rapproche du sommet…
Ces couloirs, c’est toujours plus long que ce que l’on croit et c’est exactement comme Gaston Rébuffat l’a dit, “la pente déjà raide se redressait encore”…. A tel point que l’on a du sortir la corde pour les 20 derniers mètres, raides et surtout en neige sucre qui rendait la progressions délicate. Un petit pas (voire deux ou trois) d’escalade pour se sortir de là et hop nous voilà sur l’arête Forbes.
Un vent glacial nous accueille à la sortie du couloir, les gants humides de la montée gèlent en deux secondes et prennent la forme fermée de mes mains sur les piolets. Encore de la neige tout sucre qui ne me met pas en confiance, je reste bien concentrée sur les pieds pour cette traversée qui mène au sommet.
La montagne c’est pointu, alors on ne s’y attarde pas pour sortir le thé et les cookies, surtout avec ce vent et les nuages qui arrivent. Nils file devant, je le suis en essayant d’attraper une photo ici ou là.
La descente par la voie normale nous amène au premier rappel. Un second suivra, puis le passage d’une grosse rimaye et enfin nous pouvons chausser pour une descente sympathique jusqu’à rejoindre le glacier du tour et se laisser glisser jusqu’au village. Une belle ballade alpine qui a fait de cette journée une sortie complète en terme de recherche d’itinéraire, de décisions, de manips. Une journée comme je les aime bien.
Le Chardonnet, un joli sommet visible de partout sur lequel je reviendrai avec plaisir. Merci pour le soupçon d’aventure sans autre cordée ;)